• ORERO

    Il y a peu de temps encore j'ignorais tout du Orero. Si je m'y suis intéressée c'est uniquement parce que Titouan a eu un texte de 2 pages, en langue tahitienne, à apprendre par cœur. Chaque année, les professeurs choisissent leurs meilleurs élèves pour la récitation d'un texte en public. L'enfant doit se produire devant toute son école, puis devant toutes les écoles de l'île. Le travail qu'a accompli Titouan est phénoménal et a été reconnu par son enseignant puisqu'il la nommé Orero. C'est une belle reconnaissance, ici en Polynésie, mais Titouan n'a pas souhaité  faire cette représentation, et a estimé, simplement, avoir "fait ses devoirs". On salue largement son incroyable performance. 

    ...vidéo à venir prochainement.

    Le Orero est l’art de manier la parole, l’art du discours. Le terme désigne également l'essence du parler, l'éloquence, la rhétorique. C’est une pratique ancestrale réservée de tous temps aux adultes et particulièrement aux hommes. Celui qui en avait la maitrise devenait alors le porte-parole privilégié de la communauté. Depuis 2002 le orero  renaît en Polynésie. Cet art qui était familier à tous avant d'être réservé à une élite ressurgit du passé après avoir été «oublié». Il n'est certes plus une pratique courante. Il concerne en effet une partie infime de la population polynésienne, à savoir les personnes âgées qui ont gardé en mémoire les récits de leurs ancêtres.

    Les origines du terme «'orero» ne sont pas évidentes car la langue tahitienne ne distingue pas les verbes des noms.

    Le 'orero est la personne qui permet la vie en communauté par sa capacité à discourir. Il nécessite une connaissance parfaite de sa langue et de ses origines et, comme un facteur essentiel de sociabilité, une ouverture d'esprit.

    Dans la société polynésienne traditionnelle, retenir le savoir appris était tenu pour une exigence aussi importante que le besoin de se nourrir, de subsister. L'importance de la transmission de ce savoir (qui pouvait toucher le domaine religieux, géographique, historique ou technique) se justifie ainsi de manière compréhensible. La parole comme restitution de la mémoire était considérée comme un élément vital. Pour tout Polynésien de cette époque, il était normal et naturel d'entretenir, de faire perdurer ce savoir. Le 'orero, en tant que discours, était comme un moyen de subsister, d'assurer sa survie. Dans l'archipel de la Société, adresser des prières (que ce soit aux ancêtres ou aux dieux) constitue un moment fort de la vie sociale. On priait, on faisait appel aux ancêtres avant tout acte cérémonial ou quotidien. Le discours était le facteur de la communication par excellence.

    Les arii ( «chef») vont éprouver le besoin d'avoir constamment à leurs côtés un messager, un intermédiaire entre le peuple et eux.

    Jusqu'alors, la préoccupation première du chef était de subvenir aux besoins alimentaires de toute sa tribu en faisant le partage équitable des récoltes et de la pêche sur le «marae», sorte de forum polynésien où se pratiquaient diverses activités artisanales, que ce soit le tressage, la confection du tapa (étoffe faite avec l'écorce du banyan ou de l'hibiscus) ou encore la construction de pirogue. Le partage de la nourriture correspondait aux besoins de la personne âgée ou du nouveau-né. Avoir un messager lui assurait une protection particulière, dans la mesure où ce dernier lui garantissait sa place de chef par ses compétences en généalogie.

    Soulevons une question qui aujourd'hui oppose encore des esprits: la question de la femme 'orero. La femme peut-elle jouir de ce statut d'oratrice? En effet, de nos jours certains persistent à dire que le 'orero est interdit aux femmes dans la mesure où «à l'époque», elles n'avaient pas le droit d'accéder au marae car elles étaient considérées comme impures. Leurs menstruations leur communiquait une sorte de souillure inadmissible sur un lieu sacré. Notons que le sang menstruel était désigné de la même manière que la boue en tahitien, à savoir par le terme «vari». À en juger ce principe, et le fait qu'elles n'étaient pas acceptées au rang de prêtresses, il semble que la fonction de 'orero ne soit pas permise à une femme.

    Cependant, il existe un contre-argument qui vient renverser cette thèse. En effet, il réside dans le fait même que la conception du 'orero a été instable et n'a cessé d'évoluer tout comme celle de la femme. De plus, certains prétendent que cette conception de la femme impure ne date que de l'époque où 'Oro (dieu sanguinaire et dieu de la guerre adoré jusqu'alors à Ra'iatea) a été «importé» de cette île et est parvenu à Tahiti où il est venu se substituer à Tane (dieu de la beauté et dieu pacifique). Avant l'implantation de ce dieu, d'après certaines personnes soutenant que la femme a la droit d'être 'orero, les arii "chefs" veillaient au respect de la femme comme incarnation même de la fécondité et de la reproduction. Ainsi, tout comme on respectait la terre, on respectait la femme. Ce principe coïncide avec celui de l'humilité (idée de se rabaisser au niveau de la terre) qui dirigeait les arii avant le règne de 'Oro.

    Ainsi, le concept de 'orero a connu une évolution remarquable au fil de l'histoire en se dotant sans cesse de nouvelles caractéristiques et de nouveaux principes. À défaut d'être resté un caractère propre au Polynésien, comme le moyen exclusivement réservé à la préservation de son identité le 'orero est devenu un discours de circonstances.

    L'importance pour l'orateur réside dans le fait de mémoriser parfaitement son texte et de le restituer mais cela ne veut pas dire que la discipline du 'orero n'est qu'une simple récitation. Il ne s'agit pas uniquement de déclamer, de parler mais d'assimiler pleinement son discours et de lui donner vie.Le discours est une épreuve en plus d'être une privation. En effet, mémoriser suppose un certain travail. Le discours est une expérience. Le corps, la tenue doit être en harmonie avec le discours. Le geste également doit être en harmonie avec ce qui est dit. L'orateur est en représentation et ne doit pas avoir peur de théâtraliser son discours. Il s'agit de mimer et de faire passer un message. Il y a communication physique et verbale avec l'assistance qui doit comprendre et participer au discours. Le 'orero s'inscrit dans un espace vivant et s'expose à la réaction du public. Si le discours l'exige, il peut faire des gestes plus ou moins violents, hausser le ton ou murmurer. Cependant, le discours ne doit pas être noyé dans un excès de gestes et de mouvements: il y a un juste milieu à trouver entre la mise en scène et la parole.

    Le 'orero est enseigné depuis la rentrée scolaire 2000. Il s'agit d'une volonté de ré-appropriation de cet art oratoire et d'une volonté de faire prendre conscience – au Polynésien surtout – de l'existence de cette discipline en tant que richesse de son patrimoine. Il s'agit d'une prise en main de ce patrimoine plus que d'une nostalgie ou que d'un regret par rapport au passé. Bien que les contours de cette discipline ne soient pas bien délimités, l'enseignement a pour tâche de familiariser l'enfant à la mémorisation et à la récitation en langue tahitienne. L'enseignement consiste, entre autre, à habituer l'enfant à des prestations orales en public.

       
       
       
       
       

     

     

         

     

       

     

       

     

       

     

       

     

         

     

       

     

     


  • Commentaires

    1
    Jeudi 9 Juillet 2020 à 07:55

    DOMMAGE DE NE PAS CONTINUER CES BEAUX ARTICLES !!!

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